Ça commence comme un trompe-l'œil : une vitrine délabrée, une porte vétuste, la sonnette ne marche pas. Et quand Xavier Lafaysse ouvre, c'est dans une sorte d'oasis de lumière, de pénombre et de verdure que l'on entre. On voit qu'on est à Bègles, où le confort intime jamais ne se montre en façade.
On comprend qu'on est chez Lafaysse, le sculpteur dont les talents d'illusionniste découverts lors d'une exposition à la Morue Noire vous ont attiré là, à la découverte de son atelier.
Atelier, domicile : les machines qu'il invente font le va-et-vient entre séjour, salle-à-manger, et ce qui est autant un laboratoire qu'un atelier. À la Biennale béglaise, il avait présenté des « vanités » à sa façon : ces variations sur le thème de la mort sont dans ce circuit d'où elles ne sortent que rarement. « Je les montre de temps à autre. Je ne les vends pratiquement jamais. Je suis professeur d'arts plastiques, j'ai un salaire qui me permet de vivre correctement. »
Trompe-la-mort
De toute façon, les pièces de Lafaysse sont uniques, à plus d'un titre. Savantes, au sens du XIXe siècle. Sur les murs et les étagères de l'ancienne épicerie s'accrochent fils électriques, fers à souder, éléments de laiton et de cuivre, cornues, tubes à essai, éprouvettes. Mais aussi rayon laser, mécanismes électroniques, ou ce miroir de four solaire qu'il a récupéré cet été à Mont-Louis dans les Pyrénées-Orientales : « Il y a une double focalisation. Approchez-vous. » Et nous voilà déformés, tantôt à l'envers, tantôt à l'endroit. « Ce sera la base de ma prochaine œuvre. J'ai des idées. »
Trompe-l'œil, et trompe-la-mort. L'une de ses vanités est là : un vase de verre, empli de billes du même matériau. De l'eau le rempli, se retire. Dans ce mouvement de marée, une tête de mort en polymère bleuté apparaît et s'efface. « C'est fondé sur les indices de réfraction », explique Lafaysse. Macabre ? « Pas forcément, la mort est un fait traité comme un thème. »
Le sculpteur passe des heures et des jours à régler les mécanismes minutieux qu'il a imaginés : « Mais je n'ai pas d'autre bagage que les souvenirs de physique au lycée. »
Une dimension poétique
La biologie est là aussi : une cornue s'emplit de vapeur, lâchée en bouffées traversées d'éclairs. Comme un poumon, comme un geyser, comme… On n'en finirait pas de trouver des analogies.
Xavier Lafaysse laisse faire, s'amuse de l'amusement, mais explicite la démarche : « Dans mes objets, il y a plusieurs niveaux d'accès. Un niveau un peu sidérant, attractif, avec la lumière, le mouvement, la vibration des nouvelles technologies. Ensuite j'essaie de faire en sorte que l'objet échappe à l'appréhension immédiate, ait une dimension poétique. Et un niveau plus intellectuel. » L'homme, le cosmos, la mort qui n'est « pas forcément macabre », l'enfance, source essentielle.
L'atelier est donc aussi métaphysique. Il y a du cosmique, effectivement, dans cette fine membrane dorée où un système sophistiqué « inspiré des autos tamponneuses » dessine des étoiles instantanées : « un minuscule morceau de ciel avec des moyens dérisoires ». Sur la même étagère du séjour, un « batailleur étrange » agite à la demande des bras désarticulés. Écho, dit Lafaysse de la théorie du chaos ou des « attracteurs étranges »…
Le sablier et l'asticot
Artiste en machine, il cite forcément Tinguely, dont les sculptures animées du bassin de Beaubourg sont un plaisir familial mondialement connu. « Mais il y a du drame chez Tinguely. »
Chez Lafaysse c'est un sablier où s'écoulent des asticots. Souvenir de pêche d'enfant, certes. Mais aussi effet recherché et obtenu : « Les gens sont d'abords dégoûtés par cette masse de vers, mais aussitôt qu'un seul se faufile dans le passage du sablier, on me dit : "Tu es cruel !" Dès que l'asticot s'individualise, on projette sur lui des sentiments. » Ça pourrait bien avoir à voir avec les humains, dont Lafaysse ne cesse au fond de traiter.
Voilà. La conversation pourrait durer des heures. Xavier Lafaysse explore le temps, la mémoire, les grottes, les sciences. C'est un Jules Verne à sa façon, nourrissant son œuvre de technologie et d'imaginaire. À la recherche de l'émerveillement.
Dés le premier seuil de la maison franchi, il suffit de passer la porte de droite qui se cache derrière le débattement de la précédente comme dans un contre mouvement pour se trouver démasqué, pris à contre pied par la marche descendante, en plein cœur de la création. Il faut ensuite lentement se frayer un passage d’homme en se faufilant a l’égyptienne comme dans « une andronne » de village pour gagner le centre vide ou la place s’organise et distribue l’accès aux établis ou se palissent les étagements.
Dans cet univers ordonné et chaotique, stable et incertain la théorie du chaos est a l’œuvre. Elle y pulse, y respire, y fabrique ses emboîtements et résilles, y emprisonne raisons et démesures suivant que l’œil s’attache aux détails ou se soumette à l’antre global et perçoive malicieuses minuties minutées ou improbables imbroglios imbriqués.
Il serait d’ailleurs étonnant de ne pas trouver dans les feuilletés et les strates de notices techniques et de savantes reproductions, un couple de feuillets de cet autre Karl mémorable qui contribua à sa manière à une théorie des nombres, des foules et de l’économie de l’univers aussi capitale que le précédent.
Popper le pétillant est probablement caché ici, fomentant cette entropie galopante et soumettant le monde à la double vision de fractales immenses refondant les perceptions mécaniques de l’ordre et du désordre, du point fixe à la loi du point de vue relatif en perpétuelle croissance et gestation. Il joue a cache cache avec les objets, les outils et les projets qui font la substance vibrante de ce lieu.
De grandes étagères établies a même les murs murent ce lieu et le graduent, du sol carrelé en de savants caissons carrés jusqu’aux hauteurs du plafond gris. Ce étagement, d’etage en etablis se fait par une lente ascension de rayons ténébreux ou se rangent croisées les pièces en sommeil de mécaniques laitonnées et cuivrées d’antiques machines qui semblent encore cranter de mémoires le temps balancier des lectures a l’écart ou se découvraient les merveilles de la science du centre de la terre, a l’île mystérieuse en faisant par l imaginaire et l’etonné, le tour du monde en quatre vingt jours. Il y a de la bibliothèque objectivée en ce lieu ou s’étagent les volumes et s’opèrent des renversements car s y découvrent des forets qui percent le mystére des pièces à assembler.
L’espace est encombré de menus objets, d’outillages et de fragments divers qui trouveront leurs places dans des pièces futures.
Ce lieu laboratoire-atelier est en comblement, comme un creux de vallon, une combe, où la forêt aurait coulé de la hauteur des pentes par simple gravité aux horizontales des plaines ou du sol. Celui ci est ici jonché, conquis peu à peu par des piles qui s’érigent à leur tour, telles des plantes échafaudées vers des altitudes incertaines…portant leur signal plus loin telles des balises émergeant de cet océan à l’étal.
En ce lieu se cultivent et s’élèvent au secret quelques meta mecaniques qui hybrident par une science maîtrisée les détours de quelques contours du fondement de l’art pour mieux nous perdre a leur saisie.
C’est probablement cette manière de combler en cultivant qui nous captive et nous ravit même si parfois elle nous déstabilise car amenuise notre place physique au réel et nous creuse de perplexités et d’incertaines spéculations lorsque tout ce qui se tapi, s’illumine, s’active et s’éclaire nous projetant plus grand à une autre echelle-témoin, spectateur émerveillé et captif des « machines a rêver » où, célibataires, se constituent les rêves de magie des images, de spectres anamorphoses et autres vanités du monde.
Ici toutes les mécaniques font la roue et organisent la parade séduisante et fragile des attirances, attractions et captations rusées de la force des aimants … soumis aux courants changeants des flux d’énergies. Ici se jouent bien des renversements sérieux et récréatifs des désirs humains qui ancrent leurs destinées dans la levée des curiosités des arts et des sciences a la recherche éternelle par delà la terreur, des « balises » de l’apaisement des « sémaphores ».
Qui a tout vent et de bien loin sèment le signal de son et d’image rassurant de leurs tracés repères. Car c’est bien connu des navigateurs et rouleurs de bosses, il faut bonne ouie et bonne vue pour percevoir les subtiles signaux du « sémaphore ». Le son plaintif des sirènes de brume porte souvent au loin les confusions flottantes des désirs révés de sirènes a aimer …ainsi va parfois voilé le rêve du « s’aima fort » qui nous porte a entendre, tendus tels des Ulysses fascinés prêts a murmurer…il faut que j’ouïsse ces sirénes.
A suivre...
À en voir la fréquentation dès vendredi soir, et celle qui a suivi tout le week-end, nul doute que cette première édition de Quai Branleur, proposé par Umus, Guy Lenoir et les Indigènes de la rive droite, fut une réussite.
Sous cette magnifique halle de la Mostra, les œuvres de Bernard Ouvrard, d'Isidore Krapo ou encore de Quinie Araguas - pour ne citer qu'eux - prenaient toute la dimension à laquelle elles avaient droit.
À l'extérieur, le vieux fourgon réaménagé de Karl Lacolac invitait à la curiosité. En son sein, une vidéo un peu trash pouvait heurter la sensibilité des plus jeunes, comme l'indiquait l'affichette accrochée à l'entrée.
De l'autre côté de la halle, c'est Jacques Taris qui n'en finissait pas de tresser ses « Tresses de mémoires », celles que l'on retrouvait exposées sous la halle, un peu partout. Quelques mètres plus loin, c'est dans la maison atelier jardin de Quinie Araguas que le défilé continuait : son atelier était ouvert et sa maison accueillait, en plus de ses réalisations personnelles, celles de nombreux artistes du collectif. Dont la fameuse Clepsydre (horloge à eau) aux perles de Xavier Lafaysse.
Une maison étonnante
Juste avant la Garonne, la maison Catalpa de Véronique et Philippe Lespinasse n'en finissait pas d'étonner les visiteurs. À l'entrée du jardin, l'énorme arbre (le fameux catalpa) abrite un immobile animal à quatre pattes (en patchwork de céramique), dont on pourrait croire qu'il s'agit d'un âne. Dans la maison, qui vaut elle-même le détour, la foule avait du mal à se frayer un chemin parmi les nombreuses œuvres disséminées ça et là.
La balade se terminait à la galerie La Traversée où les « décollections » de Guy Lenoir et de Philippe Lespinasse étaient exposées.